Le train et le crime
Le train, ce monde qui va de ville en ville, qui emmène ses voyageurs dans un périple entre des gares bondées où ère la foule et ses secrets, nous fascine depuis près de 200 ans. L’aventure des premiers voyages, l’isolement en wagon, la cohabitation forcée – même dans l’atmosphère feutrée de la première classe –, le phantasme des rencontres amoureuses, l’angoisse dans les trains de nuits, propices aux crimes, ont très tôt inspiré bien des plumes.
Les journalistes, premiers chroniqueurs des crimes et des mystères dans les trains
Ce sont d’abord les journalistes qui ont excellé dans le genre, prenant à cœur toutes les affaires criminelles qui se déroulaient dans les trains, pistant eux aussi, comme les policiers, des assassins potentiels. Ils ouvriront des débats houleux sur la sécurité, ou plutôt l’absence de sécurité dans les trains, qui enflammeront la France entière.
Le crime, à l’origine de l’amélioration du confort et de la sécurité dans les trains !
Au début du chemin de fer, il n’y avait pas de couloir permettant de passer d’un compartiment à un autre. Chaque compartiment était
autonome et on y entrait et on en sortait par une porte donnant directement sur la voie. Ce qui fait que chaque compartiment était isolé.
À la suite de plusieurs crimes commis dans les trains, en particulier dans des compartiments de première classe, les journalistes ouvriront
des débats sur l’amélioration de la sécurité dans les trains.
Ainsi, les crimes de Charles Jud, abondamment relayés par la presse, sont à l’origine de l’introduction du signal d’alarme dans les wagons.
Plus tard, avec l’assassinat du préfet Barrême, le débat rebondira, le système d’alarme n’empêchait pas tous les crimes, il fallait proposer d’autres solutions.
Certains préconisèrent qu’un employé des chemins de fer passe fermer à clé chaque compartiment une fois rempli. Il les aurait rouverts dans chaque gare. L’idée était qu'ainsi, un assassin, une fois son forfait accompli, ne pouvait plus s’échapper. On leur opposa la perte de temps en gare et surtout le risque pour les voyageurs pris au piège en cas d’accident. Personne n’avait oublié la catastrophe de Meudon où plus de cinquante personnes avaient péri dans les flammes, prisonnières dans leurs wagons fermés à clé.
Il y avait aussi ceux qui réclamaient des vitres entre les compartiments pour voir ce qui se passait dans les compartiments voisins. Là, ce fut un tollé général. « Comment feront les jeunes mariés qui ont besoin d’intimité ? » hurlèrent les détracteurs. La suggestion fut abandonnée.
D’autres avancèrent l’idée de mettre un couloir, permettant au contrôleur de vérifier si tout se passait bien dans les compartiments, par des allées et venues, comme cela se faisait dans les trains allemands et les trains américains. Le ministre s’indigna, c’était irréaliste, cela allait conduire les compagnies de chemins de fer et la France à la ruine ! Au bout du compte cette idée sera retenue, elle allait conduire aux trains modernes.
L’atmosphère des trains et du chemin de fer comme trame de fond des romans policiers
Progressivement les auteurs en mal de mystère ont pris le relais, ou plutôt ont concurrencé les journalistes.
La rapidité du nouveau moyen de transport, l’exaspération des passions humaines dans un univers clos vont devenir des clés essentielles de romans, notamment ce qu’on appellera dès le début, à juste titre, les romans de gare. Les différentes classes sociales réparties en première pour les gens aisés, en seconde pour les fonctionnaires et en 3e pour les classes populaires, cette mixité des trains malgré tout, car tout le monde se retrouve dans les gares, les trains ordinaires, comme les trains de luxe, tout va être matière à romans.
À la naissance du chemin de fer, le train est le symbole de la puissance, de la vitesse. Les détectives imaginaires, tel Sherlock Holmes vont donc prendre tout naturellement le train. Holmes et Watson élaborent leurs théories pour attraper les coupables dans les trains.
Les enquêteurs arrivent, grâce aux horaires des trains, à élucider les affaires criminelles. Si bien que les détectives ont désormais pour bréviaire les indicateurs de chemins de fer : le Chaix en France ou le Bradshaw, son équivalent en Angleterre.
Dans les romans d’Émile Gaboriau, son détective, le père Tabaret, utilise pleinement les indicateurs de chemin de fer pour dénicher l’assassin. Ainsi dans l’Affaire Lerouge, il démonte tous les déplacements du suspect, grâce aux horaires de chemin de fer.
Dans les 32 romans qui mettent en scène Fantomas, l’anti-héros de Pierre Souvestre et Marcel Allain, entre février 1911 à septembre 1913, la route de Fantomas va constamment croiser le chemin de fer. Le roi du crime sévit dans les transports et surtout dans les trains. C’est le cas dans Un roi prisonnier de Fantomas, La Mort qui tue, L’évadée de Saint Lazare, L’assassin de Lady Beltham ou Fantomas rencontre l’amour.
Arsène Lupin, autre figure légendaire des romans policiers français, n’est pas en reste.
Et bien entendu, il faut citer aussi tous les trains de l’œuvre de Georges Simenon, avec notamment Train de nuit, qu’il a écrit sous un pseudonyme. Maigret, son célèbre commissaire, vit dans les trains, mène ses enquêtes dans les trains et surtout y résout des enquêtes. Mieux que personne Simenon a su rendre l’ambiance magique du train.
Comme les auteurs français, les auteurs anglo-saxons utilisèrent à fond les trains, il suffit de citer Victor Whitechurch et ses Thrilling Stories of the Railways, ou Agatha Christie avec L’express de Plymouth, Le train de 16h50, le crime de l’Orient express…
Les « histoires vraies » - les affaires criminelles ferroviaires objet de romans et de nouvelles
À côté de la fiction pure, les affaires d’État, comme l’assassinat du préfet Barrême, les mystères jamais éclaircis, comme la première malle sanglante, les faits divers ferroviaires les plus insolites, les criminels d’exceptions, vont fasciner Serge Janouin-Benanti dans Les trains du crime.
D’autres écrivains se sont inspirés librement, sans les citer explicitement, de véritables affaires criminelles, comme Agatha Christie pour Le Crime de l’Orient-Express, où elle fait référence à l’enlèvement du fils Lindbergh et le terrible hiver enneigé de 1929, qui immobilisa L’Orient-Express.
D’autres font expressément référence aux personnages dont ils racontent la vie, et sous forme romancée, font ressortir les ressorts psychologiques qui les animent.
La création littéraire rejoint le réel, ainsi le criminel Charles Jud dont Viviane Janouin-Benanti raconte la vie dans Le tueur du Paris-Mulhouse a inspiré le personnage de Fantomas. Fantomas est en quelque sorte l’idéal romanesque de Charles Jud, Le tueur du Paris-Mulhouse.
James Cain de son côté imagine une intrigue sur un meurtre camouflé en suicide sur les rails dans son roman Assurance sur la mort. À l’inverse, la nouvelle Sacrifice ultime narre la surprenante affaire Dutfoy, l’histoire vraie d’un homme ruiné qui s’est suicidé dans un train, de manière à ce que cela passe pour un meurtre, afin que sa femme puisse toucher les nombreuses assurances vie qu’il avait souscrites…
Les trains et le crime dans les romans réalistes
Au stade où nous en sommes, il n’est pas possible de ne pas citer La Bête Humaine de Zola, le plus bel ouvrage pour parler des trains et de crime. On ne peut résister à en citer un extrait :
Jacques Lantier est mécanicien sur une locomotive, on va le voir alors qu’il est venu rendre visite à des amis. Il marche dans la campagne le long de la voie ferrée. Un train surgit.
Jacques vit d’abord la gueule noire du tunnel s’éclairer, ainsi que la bouche d’un four, où des fagots s’embrasent. Puis, dans le fracas qu’elle apportait, ce fut la machine qui en jaillit, avec l’éblouissement de son gros œil rond, la lanterne d’avant, dont l’incendie troua la campagne, allumant au loin les rails d’une double ligne de flamme. Mais c’était une apparition coup de foudre : tout de suite les wagons se succédèrent, les petites vitres carrées des portières, violemment éclairées, firent défiler les compartiments pleins de voyageurs, dans un tel vertige de vitesse, que l’œil doutait ensuite des images entrevues. Et Jacques, très distinctement, à ce quart précis de seconde, aperçut, par les glaces flambantes d’un coupé, un homme qui en tenait un autre renversé sur la banquette et qui lui plantait un couteau dans la gorge, tandis qu’une masse noire, peut-être une troisième personne, peut-être un écroulement de bagages, pesait de tout son poids, sur les jambes convulsives de l’assassiné. Déjà, le train fuyait, se perdait vers la Croix-de-Maulfras, en ne montrant plus de lui, dans les ténèbres, que les trois feux de l’arrière, le triangle rouge.
Cloué sur place, le jeune homme suivait des yeux le train, dont le grondement s’éteignait, au fond de la grande paix morte de la campagne.»